Publié le 08/07/2019 • Par Louis Gohin • dans : France, Toute l’actu RH
Agents sous pression, où sont les managers ?
Faut-il y voir un paradoxe ? Alors que les agents territoriaux se plaisent dans la FPT, leur malaise est palpable, sous l’effet d’une pression et d’un stress accrus, d’après les résultats du neuvième baromètre de « La Gazette » et de la Mutuelle nationale territoriale (MNT).
En termes de satisfaction, 75 % d’entre eux se disent heureux d’exercer dans la FPT – un chiffre en baisse de 2 points par rapport à la précédente édition. « Je considère ces résultats plutôt comme une bonne nouvelle dans un paysage hexagonal ambivalent, mêlant critiques des fonctionnaires et demande croissante de services publics », note Pierre-Jean Joyeux, directeur général des services du centre de gestion des Côtes d’Armor (552 collectivités affiliées, 10 900 agents).
Certes, les personnes interrogées s’enorgueillissent à 75 % de rendre un service public de qualité aux usagers, et à 56 % de veiller à la bonne gestion de l’argent public – des critères qui donnent du sens à leur travail. Mais ces chiffres sont en chute, respectivement de 3 et 7 points par rapport à 2017.
Fatigue nerveuse
Surtout, 58 % des sondés estiment que leur niveau de bien-être s’est dégradé au cours des douze derniers mois, un chiffre qui atteint même 64 % chez les agents de conseil départemental (un échelon aujourd’hui sur la sellette). « Le mal-être qui transparaît dans l’étude ne m’étonne pas, on le sent monter. Mais est-il propre aux collectivités ou présent dans les administrations et les entreprises publiques en général ? La thématique du stress n’est-elle pas une tendance sociétale ? D’ailleurs, il apparaît que les sources de mal-être ne sont pas liées à la mission de service public, mais aux conditions dans lesquelles elles s’exercent », commente Emilie Agnoux, porte-parole du réseau de jeunes territoriaux FP 21 et directrice de l’innovation, du dialogue social et de l’animation managériale à l’EPT Grand Paris Sud Est avenir (16 communes, 1 200 agents, 309 400 hab.).
De fait, 29 % des répondants ressentent une fatigue nerveuse extrême au terme d’une journée de travail (+ 5 points) et 45 % expriment une fatigue physique forte ou très forte (+ 10 points). Avec une proportion et une progression sur un an encore plus marquée
pour les agents de la catégorie C : 31 % font part d’une fatigue nerveuse extrême, en hausse de 6 points, et 50 % témoignent de leur fatigue physique, en augmentation de 13 points (lire l’encadré ci-dessus).
Particulièrement touchés aussi, les agents travaillant dans des communes de moins de 5 000 habitants ou relevant de la filière sociale et médicosociale. Le niveau de stress, également très élevé, touche 81 % des personnes interrogées. Pression des élus (+ 8 points), des usagers (+ 8 points) ou des collègues (+ 6 points)… cette charge portant sur les agents prend diverses formes.
Mais c’est de celle de la hiérarchie que se plaignent le plus les agents (à 72 %, + 13 points). « On ne peut que le regretter. Le malaise des élus a forcément une répercussion sur leurs relations avec leur administration. Ce rapport à l’administration est parfois différent dans la jeune génération, davantage tentée par le spoil-system.
Les élus font pression sur la hiérarchie et cette pression redescend en cascade sur les équipes. Il y a certainement des actions à mener localement pour mettre en place
des organisations performantes », avance Emilie Agnoux.
Manque de reconnaissance
Parmi les motifs d’insatisfaction cités, beaucoup relèvent d’un défaut de management.
Les sondés souffrent ainsi à 67 % d’un manque de reconnaissance de la part de leur hiérarchie ou de leurs collègues, quand 49 % regrettent de ne pas acquérir suffisamment de nouvelles compétences et 34 % estiment ne pas être aidés dans leurs tâches quotidiennes par des pratiques managériales efficaces.
« Je n’ai pas l’impression qu’en matière de management la FPT soit particulièrement en retard sur le reste de la fonction publique. L’autonomie locale et le fait de travailler sur des politiques publiques ont au contraire permis des fonctionnements moins hiérarchiques et plus organisés en mode projet. Mais les efforts doivent être poursuivis. Par exemple, pour sélectionner des agents vers des postes d’encadrant, il faut trouver le bon dosage entre profil d’expert et profil de manager, et les accompagner par la
formation, mais aussi par le biais d’autres outils. Dans mon EPT, nous misons sur le coaching et les communautés d’encadrants pour faciliter les échanges entre pairs », détaille Emilie Agnoux.
Pour Philippe Catta, dirigeant du cabinet spécialisé Cattalyse, l’amélioration des qualités relationnelles au sein des équipes passe aussi par le courage managérial : « Il faut instruire les dossiers en cas de conflit ou de dérapage, appliquer des sanctions. Cela passe par davantage d’autorité et de fermeté, autant que par de la bienveillance. »
Autre motif de mécontentement : la rémunération, qui satisfait seulement 24 % des sondés, alors qu’elle est considérée par les personnes interrogées comme le premier élément participant à leur épanouissement professionnel – une tendance particulièrement marquée chez les agent des catégories B et C.
Ce chiffre n’est pas étonnant compte tenu du niveau de rémunération des agents et de l’absence de revalorisation. Ce n’est pourtant pas un levier que peuvent actionner les managers, ni même les collectivités dans le contexte actuel », note Philippe Catta.
Risques psychosociaux
Au-delà du mode de management, c’est aussi le déploiement d’actions de prévention des risques au travail qui semble faire défaut : 51 % des agents notent que les collectivités ne proposent aucun dispositif en la matière (- 4 points en un an).
« Il convient de dissocier les collectivités de taille importante, qui, du fait du volume de leurs effectifs, ont dû se pencher sur cette question depuis plusieurs années, au risque de voir leur dialogue social se dégrader. Pour les plus petites, la mise en place du document unique a permis de sensibiliser les élus aux questions de prévention et de bien-être au travail.
Il faut cependant reconnaître que ce n’est pas suffisant et qu’il faut remettre l’ouvrage sur le métier », observe Pierre-Jean Joyeux. Les démarches de prévention mises en place concernent prioritairement les RPS, les troubles musculosquelettiques et, dans une moindre mesure, la consommation de substances psychoactives.
Les agents sont 62 % à considérer que la priorité doit porter sur les RPS. Le centre de gestion des Côtes-d’Armor a ainsi proposé des sessions de formation aux gestes et postures, mais aussi de qi gong, de sophrologie ou d’éveil musculaire.
« Des actions qui auraient été perçues hors de propos il y a encore deux ou trois ans, mais que les élus considèrent aujourd’hui comme bénéfiques au regard de l’absentéisme et de la qualité de vie au travail, assure Pierre-Jean Joyeux. Mais elles ne peuvent venir qu’en appui d’une démarche plus globale et d’une politique managériale ambitieuse. »
De profondes et déstabilisantes transformations
Avec 75 % de sondés estimant rendre un service de qualité aux usagers (- 3 points en un an), 56 % (- 7 points) convaincus de veiller à la bonne gestion de l’argent public et 47 % (- 3 points) affirmant mettre en oeuvre le projet politique porté par les élus, les agents territoriaux font preuve de scepticisme sur l’impact de leur mission.
Un état d’esprit guère surprenant. « Il n’y a pas d’exemple d’une conjonction de réformes aussi profondes sur un temps aussi court que dans les quatre dernières années.
Pour autant, la vision du travail n’est pas fondamentalement dégradée, car 81 % des agents tirent une fierté de leur mission, ce qui n’a pas de prix », analyse Pierre-JeanJoyeux. La confiance en l’avenir est également fortement entamée. Les répondants se disent pessimistes à 73 % sur leurs perspectives professionnelles, à 84 % sur l’évolution du service public (+ 6 points par rapport à 2017) et à 89 % sur l’évolution du statut de la FPT (+ 3 points)…
« Certains agents sont dans l’incertitude quant au devenir de leurcollectivité : conseils départementaux, établissements publics territoriaux du Grand Paris, etc.
A cette inquiétude générale s’ajoute la montée en puissance du numérique qui bouleverse les conditions d’exercice des métiers et interroge sur la pérennité de certains autres ou la capacité à s’adapter », estime Emilie Agnoux.
Le blues des agents de la catégorie C
Désemparés, les agents de la catégorie C ? Leur niveau de satisfaction au regard de leur mission de service public et des relations avec les équipes est systématiquement en deçà de celui éprouvé par les agents des catégories A et B. Principaux points d’achoppement : la rémunération et un manque de reconnaissance. Ils sont, par ailleurs, 51 % à déplorer mal gérer le stress au travail, contre 41 % des « A » et 44 % des « B ».
« Les collectivités territoriales n’écoutent pas suffisamment les agents « de base », alors qu’ils connaissent bien les métiers, constatent ce qui se passe sur le terrain, on conscience des contraintes et sont porteurs d’idées qu’on ne leur demande pas assez souvent d’exprimer », regrette Philippe Catta, dirigeant du cabinet Cattalyse. C’est d’ailleurs sur le sentiment de rendre un service de qualité aux usagers et d’exercer au quotidien la solidarité que les agents de la catégorie C se montrent plus optimistes que leurs collègues.