Objet d’un colloque qui s’est tenu le 24 septembre, la transformation du travail dans la fonction publique a fait l’objet d’une description inquiétante par les chercheurs, qui augure mal de la mise en œuvre de la loi du 6 août 2019. Volonté politique de transformer rapidement la fonction publique d’une côté ; sens du travail, identités professionnelles, hausse de la charge de travail, tensions, de l’autre. La matinée de la journée d’étude du 24 septembre consacrée au « travail au cœur des transformations de la fonction publique » a montré deux perceptions très éloignées du sujet. Elle a tout de même permis de tracer quelques pistes d’évolution. Cette journée, qui s’est tenue à la Plaine Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), était organisée par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) et par le groupe d’études sur le travail et la souffrance au travail (Geste), groupement d’intérêt scientifique réunissant 25 organismes de recherche ou d’enseignement supérieur.
« La loi permet de dégager du temps aux acteurs »
Thierry Le Goff, directeur général de l’administration de la fonction publique (DGAFP), a rappelé les grandes lignes de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 :
- place renforcée du dialogue social
- mise à disposition de leviers RH pour les employeurs publics
- création de nouveaux droits pour les salariés (égalité professionnelle, handicap).
« La loi permet de dégager du temps aux acteurs afin qu’ils abordent d’autres champs, aussi importants que le statut », a déclaré le DGAFP. Une approche dont il reconnaît qu’elle ne convient pas aux syndicats. Mais, prévient-il, cette fois en direction des employeurs publics, « davantage de libertés implique davantage de responsabilités ; aussi, quand certains employeurs se retrouvent en responsabilité, ils s’aperçoivent que la situation antérieure était confortable ». Il souligne ainsi que les résistances peuvent venir des deux côtés.
Agents « polyrestructurés »
« L’injonction politique étaient d’aller vite sur la loi et vite sur les textes d’application, mais les pratiques changent moins vite », reconnaît le DGAFP. Les 50 textes d’application de la loi pourront être adoptés rapidement, la DGAFP pourra créer des fonds pour financer des projets (fond interministériel d’actions sur les conditions de travail, fond pour l’innovation RH), publier des guides (sur la qualité de vie au travail, la transformation d’un service, l’innovation RH), signer des conventions avec l’Anact, il n’en reste pas moins « qu’il ne sera pas simple d’accompagner les agents dans la transformation de la fonction publique du fait de la diversité des métiers », selon Thierry Le Goff. De fait, les autres intervenants de la matinée, la plupart ayant pratiqué l’enquête sociologique de terrain, constatent les incidences – négatives – des transformations de la fonction publique sur les salariés et sur leur travail. Le « nouveau management public », les indicateurs d’activité qui déterminent les budgets et partiellement les salaires, donnent aux agents le sentiment que le vrai travail, celui qui est défini localement et accepté, se heurte à l’intensification et aux indicateurs », relève ainsi Marc Loriol (CNRS, Geste). Pour Philippe Douillet (Anact), « les agents sont des polyrestructurés car le changement est devenu la norme dans la fonction publique et il est imposé d’en haut, dans un contexte où les transformations sociétales rendent la transformation difficile ». D’où une succession de phénomènes inquiétants :
- « sens du travail malmené », « identités professionnelles remises en cause »
- « augmentation de la charge de travail en quantité et en complexité »
- « tensions » résultant d’injonctions contradictoires entre par exemple la qualité de service et la baisse des moyens
- « difficultés rencontrées par un encadrement qui n’est pas associé aux changements et dispose des faibles marges de manœuvre et moyens ».
Gisements d’innovations sociales
Malgré ces difficultés qui présagent autant de résistances à la loi de transformation, Philippe Douillet relève des « gisements d’innovations sociales » :
- des concertations sur l’égalité professionnelle, le télétravail, et prochainement la qualité de vie au travail
- une prise de conscience des managers sur les risques psychosociaux
- une forte motivation des agents pour la réalisation du service public
- le lien « encore à explorer » entre la qualité du vie au travail des agents et la qualité du service rendu.
Il trace des pistes d’amélioration : faire dialoguer la personne en charge des conditions de travail des salariés et celle responsable de la qualité des services publics ; faire remonter les bonnes pratiques…
Associer à l’invention d’une « organisation cible »
Une seule bonne pratique a été décrite au cours de cette matinée : l’expérience « zéro produit phytosanitaire » dans les cimetières parisiens. Une idée « imposée par l’élu de tutelle en 2015 après que le glyphosate a été déclaré produit probablement cancérogène, et qui a augmenté de trois à neuf mois la lutte contre les herbes folles, réalisée à l’aide de débroussailleuses bruyantes et vibrantes », décrit Grégoire Merrheim, ancien de la direction des espaces verts de la Ville de Paris, actuellement chef du service ergonomie au centre interdépartemental de gestion de Petite couronne. Les agents en charge de l’entretien des cimetières, en moyenne assez âgés, éprouvent des difficultés à s’adapter, plusieurs sont déclarés en inaptitude, « le collectif est très remonté contre la nouvelle organisation ». « En associant les agents à l’invention d’une organisation cible, nous avons finalement réussi à ce qu’ils absorbent les changements sans trop de préjudice sur leur santé, raconte Grégoire Merrheim. Nous n’avons évité un « bureau des méthodes » qui aurait imposé son organisation. C’était possible parce que le chef du service des cimetières, bien qu’énarque, était proche du travail » des agents.