Publié le 10/04/2024 • Par Claire Boulland Emeline Le Naour Romain Mazon • dans : A la une, A la une emploi, A la Une RH, Actu Emploi, France, Toute l’actu RH
Que pensent ceux qui participeront au cycle de concertation sur la future réforme de la fonction publique, de l’intention de réorganiser les catégorie A, B et C ou de « lever le tabou du licenciement » ? La Gazette des communes leur a posé la question.
La volonté de davantage récompenser le mérite, lever « le tabou du licenciement » des fonctionnaires, ou encore titulariser les apprentis étaient déjà des options connues pour la réforme que porte le ministre de la transformation et de la fonction publiques, Stanislas Guerini. Mais celle de réorganiser les catégories A, B et C voire de les supprimer n’était pas confirmée jusqu’à ce mardi 9 avril, au moment de la présentation aux partenaires sociaux des premières intentions de la réforme de la fonction publique promise pour la fin d’année, et auprès de la presse.
Le sujet est analysé par les acteurs du secteur comme un axe central, « en rouge d’ailleurs dans le document » :
En questionnant une nouvelle organisation des carrières, le powerpoint esquisse une « fin des catégories hiérarchiques qui ne dit pas son nom », d’après la CFDT. Cela déboucherait selon elle sur « des carrières enfermées dans des filières à l’opposé des aspirations de mobilités exprimées par les plus jeunes ».
Ce 10 avril au micro de France Inter, le ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini, l’a justifié par « un système qui bloque beaucoup les choses » et qui « met des plafonds de verre au dessus de la tête des agents publics ». Selon lui, le système des catégories « génère un sentiment de dé-considération ».
Perte de sens des catégories
Est-ce le sentiment des agents et des employeurs territoriaux ? Nicolas Lonvin, porte-parole de l’ADRHGCT, n’a pas ressenti, sur le terrain, l’impression de dé-considération des agents en fonction de leurs catégories. « Et je n’ai pas le souvenir que ce soit ressorti du sondage ‘fonction publique +’ mené par le ministère… »
Ce qui est certain, pour le vice-président de l’association Fonction Publique du 21e Siècle, David Bianchi, c’est que « les catégories ont perdu de leurs sens, ont été aplaties. Cela n’est pas lisible », pour une personne qui entre ou souhaite rester dans la fonction publique.
Pour Damien Zaversnik, co-président de la Cordée, « on prend le problème à l’envers ». Il y a, souligne t-il, d’autres « répulsifs » que la structuration du statut : les modes d’accès à la fonction publique « illisibles », les conditions d’exercice, la rémunération. En d’autres termes, si l’objectif via ce projet est de donner envie de rester ou d’attirer vers la fonction publique, ce n’est pas le bon point d’entrée.
Destruction du statut
Et puis, comment, concrètement, la disparition des catégories pourrait-elle « casser le plafond de verre » pour les agents ? Murielle Fabre, secrétaire générale de l’Association des maires de France (AMF), se pose la question. Cela ne lui semble pas, à elle non plus, « l’alpha et l’oméga pour répondre à la fluidification et aux mobilités des agents. La refonte des grilles indiciaires serait plus efficace pour lever ces freins ».
« Notre mission en tant qu’élu, c’est que nos services publics fonctionnent et que les conditions de travail soient bonnes pour les agents. C’est à nous de fluidifier les choses », abonde Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territorial (CSFPT) et maire UDI de la ville de Sceaux (92).
François Deluga, président pour encore quelques jours du CNFPT et membre de l’association des maires de France prévient : « Il n’est pas question d’accepter quoi que ce soit qui déstructure le statut. Car c’est cela qui se cache derrière. »
S’il explique, comme d’autres, ne pas contester le fait que le statut doive s’adapter, il considère qu’il s’agirait là d’une « manœuvre sémantique pour passer d’une fonction publique de carrière à une fonction publique de métier. Une manière détournée de supprimer le statut. »
Crispation du dialogue social
« Ce qui est compliqué dans ces annonces, c’est que l’on nous parle de révolution alors qu’elle n’est pas nécessaire et qu’on ne sait pas ce qui va remplacer ces dispositifs. La conséquence, c’est la crispation du dialogue social », alerte en outre Philippe Laurent. Hélène Guillet, présidente du SNDGCT constate effectivement que l’idée d’une réorganisation des catégories créé beaucoup d’effervescence et d’inquiétudes auprès de ses pairs depuis deux jours. « La suppression des catégories n’aurait pas de sens, car il existe une réalité de la nature des emplois de la FPT et des champs de responsabilité, et cela relève de la responsabilité des recruteurs, des managers, des employeurs de garantir que le cadre est connu, compatible avec les besoins, et sécurisé pour toutes les parties. »
Une analyse que partageait Vincent Fabre, mardi 9 avril lors d’une table ronde organisée en clôture du salon de l’emploi public organisé par le Centre de gestion du Rhône, à Lyon. L’ancien DGA RH et dialogue social à la ville de Lyon, actuellement directeur régional Auvergne-Rhône Alpes du CNFPT démontrait que les manageurs dans les collectivités avaient tous les outils nécessaires, dans le statut, pour peu qu’ils aient le courage de les activer.
Olivier Ducrocq, président de l’association nationale des directeurs des centres de gestion (ANDCDG) qui a remis il y a quelques jours une contribution à ce sujet, assortie de 32 propositions, est lui aussi dans l’expectative.
« Les annonces du ministre restent très floues. Stanislas Guerini annonce qu’il souhaite supprimer les catégories, mais ne dit rien sur ce qu’il va faire en remplacement », regrette-t-il.
Pour lui, s’il est nécessaire de réformer le statut, l’extinction des catégories ne résoudra en rien la question de l’attractivité. « Depuis la loi de Transformation de la fonction publique, 50 % des recrutements sur des emplois à temps complets se font par voie contractuelle », indique-t-il. « Ce n’est pas la rigidité du statut qui est responsable du manque d’attractivité, mais bien les rémunérations. Ces déclarations n’aideront pas à gagner en assouplissements ».
Pour la CGT, ce n’est ni plus ni moins que de la « malhonnêteté » de la part du ministère de la fonction publique. Il s’agit, pour le premier syndicat de la FPT, d’un nouvel épisode de démantèlement du statut, après la suppression des CAP et des CHSCT, et « le recours toujours accru aux contractuels ».
Le licenciement, un tabou ?
Les réactions pleuvent depuis la réaffirmation de Stanislas Guerini de vouloir « lever le tabou du licenciement des fonctionnaires ». Sauf que… Il n’y a jamais eu de tabou ! s’exclament la plupart des acteurs territoriaux.
Dans un post Linkedin, l’avocate Lorène Carrère réagit : « Cela fait 25 ans que j’exerce en droit de la fonction publique auprès de Seban Avocats, et 25 ans que je vois des fonctionnaires être révoqués du fait de leurs manquements (6 cette semaine). » Et d’ajouter : « Je ne parle même pas des licenciements pour insuffisance professionnelle (encore un obtenu en mars dernier) ni de ceux pour suppression de poste. Donc : quel tabou ? »
Idem pour Emilien Ruiz, professeur assistant à Sciences Po et auteur en 2021 de l’ouvrage « Trop de fonctionnaires ? Histoire d’une obsession française » (Fayard). Dans un post, il republie certains passages de son livre dans lesquels il recense le nombre de licenciements de fonctionnaires, preuve selon lui que le tabou invoqué par le ministre n’existe pas.
Le groupe de réflexion Le Sens du service public remet lui aussi les pendules à l’heure : « le licenciement des agents publics est aujourd’hui possible pour faute grave, insuffisance professionnelle ou inaptitude physique. N’oublions pas non plus que depuis la loi du 6 août 2019, il est possible d’activer la rupture conventionnelle dans la fonction publique. »
Lors des discussions préalables à la promulgation de cette dernière, le think thank avait proposé de supprimer la saisine du conseil de discipline pour les licenciements pour insuffisance professionnelle, pour simplifier la procédure, actuellement jugée complexe.
« En effet, en toute logique, le conseil de discipline ne devrait rester compétent que pour les licenciements pour faute. En parallèle, pour les licenciements pour insuffisance professionnelle, il s’agirait d’instaurer une procédure simplifiée, respectant les principes du contradictoire, les droits de l’agent et susceptible de recours devant le juge administratif. », défend Le Sens du service public.
Lequel estime que « prétendre en 2024 initier une grande réforme de la fonction publique en débutant les discussions avec les partenaires sociaux et dans les médias par le licenciement des fonctionnaires ressemble au pire à une provocation, au mieux à une minoration des véritables défis de la fonction publique (attractivité, rémunération, représentativité de la société française…) ».